Essais et recherches

Extraits de l’entretien  avec Hugues Aufray

 

-Qu’est ce que pour vous la chanson française ?

 

-Premièrement le terme de « chanson française » m’horripile. On ne peut pas parler de chanson française.

La chanson c’est la même partout. Au Chili, en Argentine, en Turquie on chante les mêmes choses : l’amour, la politique et les événements du monde. Les chansons dites politiques existent en réalité partout.

 

-Où vous situez vous dans la chanson ?

 

-Je suis un peu un cas. Je dirais plutôt un marginal. Mais je crois que le marginal est celui qui se reconnaît marginal.

 

-Comment êtes vous arrivé à la chanson ? C’était une vocation que d’être chanteur ?

 

-C’est le hasard et la nécessité qui m’ont fait devenir chanteur. A 20 ans je voulais élever des moutons, mais pour cela il me fallait un peu d’argent et j’ai donc commencé à chanter.

 

-Ensuite vous chantez une chanson  « Le poinçonneur des Lilas » d’un certains Serge Gainsbourg, alors inconnu…

 

-Oui, en fait j’ai été le premier à chanter et à découvrir Gainsbourg. Lorsque j’ai  repris le « Poinçonneur des Lilas » pour l’émission « Les numéros 1 de demain » sur Europe 1 Gainsbourg était, il est vrai, inconnu. Ce qui a marqué le point de départ de la carrière qu’on connaît.

 

 

-En 1961 vous partez aux Etats-Unis où vous rencontrez Bob Dylan. Puis, à votre retour, vous avez cette envie de faire partager votre découverte au public français.

Pensez vous qu’à partir du moment où vous avez introduit cette nouvelle façon de faire de la chanson, par l’intermédiaire de la Protest Song américaine, une mutation s’est opérée dans la chanson ?

 

-C’est vrai qu’ en 61 j’ai été le premier à percevoir que le petit Robert Zimmermann pourrait faire une belle carrière, et c’est pour ça que j’ai décidé de le traduire en français.

Mais, je crois, que la mutation n’est pas exclusivement due à Dylan, il a joué un rôle important mais pas exclusif.

La mutation s’est faîte dans la chanson avec une conjonction d’éléments. La Protest Song et les révoltes étudiantes en étant les deux principaux.

Vous savez pour moi les traductions de Dylan ont représenté une infime part de mes ventes de disque. Pour 200 000 albums de Dylan, je vendais 2 millions de « Céline » ou de « Santiano ».

Certains m’apprécient pour Dylan, d’autres pour mes chansons comme « Céline ».

 

-Pourquoi avoir choisi Pierre Delanoë pour collaborer à ces traductions. C’est un choix qui peut paraître, je dirais décalé, quand on connaît les convictions politiques de Delanoë ?

 

-Sans vouloir être prétentieux Delanoë, qui ne connaissait quasiment pas un mot d’anglais, n’a pas été essentiel dans mes traductions de Dylan en 1966. Il a ensuite essayé de se tirer la couverture à lui. Mais à l’époque Delanoë détestait le personnage de Dylan. Si j’ai travaillé avec lui c’est simplement parce qu’il était alors directeur des programmes d’Europe n°1.                                                                                                                                                    C’est un peu pour remettre les choses en place que j’ai sorti « Trans Dylan »1. Mais les chansons politiques de Dylan sont une infime partie de son répertoire…

 

-Il a tout de même par ces dénonciation de la guerre du Vietnam, et de la guerre tout court, pris position, on ne peut pas nier le fait qu’il ait été un porte drapeau…

 

-D’accord il a été le premier à placer des références directes à l’actualité mais il ne s’est jamais considéré comme un porte-drapeau  contrairement à Joan Baez.

 

-L’arrivée de Dylan annonce mai 68 ?

 

-Peut être pas autant que ça . Dylan a toujours refusé d’être considéré comme un chanteur engagé. Pour moi mai 68 ça a été une remise à l’heure des horloges à l’heure américaine. On a  rattrapé une partie de notre retard en 68 et y compris dans la chanson…

 

-Concernant Dylan, je ne sais pas si vous connaissez cet article signé par Yves Simon dans Le Monde en juin 1981 où, à l’occasion de sa venue en France, il tente de lui expliquer que c’est en France que le monde est en train de changer.

 

-Le monde est loin d’avoir changé et Simon s’est bien planté…

 

-Pour en revenir au mois de mai, quand on posait la question à Brassens il répondait « j’avais des coliques néphrétiques », mais vous, que faisiez vous en mai 68 ? -Vous étiez à Paris en 68 ?

 

-Vous avez raison de préciser à Paris, car mai 68 a surtout été un mouvement parisien. Non, j’étais à Bergerac pour la tournée Europe 1 qui a été annulé à la mi-mai.

 

-Et comment expliquez vous la quasi absence de chansons durant le mois de mai. Je ne dis pas après, mais  pendant le mouvement. C’est tout de même étrange ?

 

-En ce qui me concerne quand je suis rentré à Paris, beaucoup sont venus en me disant « Hugues il faut que tu écrives une chanson ». Même Krivine est venu me voir me demandant de composer quelque chose pour le mouvement trotskiste !

 

-Vous êtes toujours resté à l’écart des luttes politiques. Vos textes sont toujours peu engagés.

J’ai tout de même  le souvenir d’une de vos chanson « A propos d’un détail », il me semble, où vous imaginez les réactions humaines suite à la découverte par des astronautes que Dieu est en réalité une jeune femme noire et, qui plus est, ravissante.

C’est votre amour pour l’humanité qui vous a poussé à écrire de tels couplets ?

 

-Je crois, oui. Vous savez je suis un amoureux fou de l’humanité et du bonheur des gens. Par exemple vous je ne vous souhaite qu’une chose c’est d’être empli de bonheur toute votre vie…

 

-Pour en revenir à votre engagement politique…

 

-…Vous savez je revendique mon apolitisme et me considère comme un chanteur tout court

 

-Un apolitisme anarchisant tout de même ?

 

-Oui c’est ça, à la Brassens. Vous pouvez dire que je suis complètement anarchiste, et que si il m’était possible de prendre le maquis avec Brassens, je prendrais le maquis avec Brassens.

Brassens a une chanson qu’il n’a jamais chanté, vous savez celle où il parle de Franco…

 

-… « Tant qu’il y a des Pyrénnées »…

 

-Oui c’est ça. Je trouve qu’elle résume parfaitement la situation du chanteur face aux événements du monde qui l’entourent.

 

-De votre côté vous n’avez jamais écrit de chanson véritablement dénonciatrice. Toujours cette volonté de garder une distance ?

 

-Il y a  la chanson que j’ai écrite pour Johnny Hallyday « Le pénitencier ». Je pense qu’il s’agit là de  la première chanson socialisante.

La version américaine était l’histoire d’un bordel !

 

-Il y a peu de références directes aux événements du monde dans vos chansons. Pourquoi ?

 

-Il y a une référence à Kennedy je crois dans « Le cœur gros ». Mais sinon, je vois le chanteur comme un météorologiste qui annonce le temps qui va faire sur la planète.

Mais pour cela je pense que la sensibilité d’un chanteur a beaucoup d’importance.

S’il y a des idées que je ne chante pas, comme les problèmes de société ou certains événement du monde, c’est parce qu’elles sont trop compliquées à faire comprendre au  public dans une chanson.

 

-Justement si certains « chanteurs météorologistes », comme vous les avez nommés, ont su prévoir la grande illusion que constituait le communisme soviétique, je pense à Montand à partir de 56, d’autres ont attendu le début des années quatre vingt pour en dénoncer les atrocités. De quand date votre prise de conscience des limites du modèle soviétique ?

-C’est arrivé tôt. Je dirais au début des années cinquante.

Au moment de l’affaire Rosenberg, j’étais quasiment convaincu de leur culpabilité.

 

- Ferrat lui a attendu le début des années quatre vingt…

 

-… Mais Ferrat n’a rien compris, il n’a pas évolué.

 

-Puis après la prise en compte des désillusions idéologiques arrivent la chanson des années quatre vingt…

 

-Vous savez, toutes les chansons humanitaires de ces années là comme l’Ethiopie, l’Arménie, tout ça me paraît douteux, forcément ils se retrouvent dans une situation où ils sont récupérés.

En fait j’ai jamais voulu chanter la misère.

 

 

 

 

-Et la chute du communisme, comment l’avez vous perçue ?

 

-Je ne crois pas au mythe de la fin de l’histoire de cet historien…

 

-Francis Fukuyama…

 

-Oui, dont je n’ai pas lu le livre. Pour moi l’Histoire est une flèche lancée dont on ignore tout de la cible C’est peut être pour cela que je reste très optimiste sur l’avenir de l’Humanité.

Je me sens proche d’Elie Faure et de son ouvrage « Découverte de l’archipel » en cela.

 

-Une vraie croyance dans les Hommes malgré les événements que l’on sait sur la côte Est américaine ?

 

-Oui sincèrement, je garde espoir, car ce qui vient de se produire aux Etats-Unis  peut être un de ces changements essentiels de l’histoire de l’Humanité.

 En fait, ce que je voudrais que vous reteniez de moi c’est : « Cet hommelà pense que le chanteur reflète une tranche de la société, qu’il est un miroir de celle-ci, mais que son rôle s’arrête là ».

 

-Merci Hugues Aufray.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 « Aufray Trans Dylan » en 1995.