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VERS LA CRÉATION D'UN SPECTACLE ORIGINAL

par DAVID LONERGAN

Une balançoire sur le côté gauche de la scène, un peu à l'écart des musiciens. Une voix s'élève dans le noir, bientôt rejointe par l'orchestre: Janine Boudreau ouvre son tour de chant par une image théâtrale en entonnant la très douce et tendre «Mon coeur est rouge». «Je venais juste d'avoir huit ans. Je m'installais sur la balançoire que mon père m'avait construite et je rêvais de devenir chanteuse» confie-t-elle à l'auditoire avant d'attaquer une version plus rock que celle du disque de «Stop»: «La terre tourne emportant avec elle ° tous mes rêves d'enfance». Arrive alors une enfant qui lui remet une lettre. Une enfant comme un rappel de sa propre enfance. Sur la lettre, un poème qui devient chanson.

Durant toute cette séquence, les mouvements et les déplacements de Janine Boudreau sont précis et mettent en relief les chansons. Quand elle chante, toute l'attention des spectateurs est dirigée vers l'interprétation, vers le coeur même de la chanson. L'ensemble du spectacle est porteur de cette volonté de théâtralisation. Un récit se construit entre les chansons, les liant, les présentant et, surtout, leur donnant un sens supplémentaire: Janine nous raconte sa découverte de la chanson et la montée de sa détermination d'en faire une carrière. La petite fille revient à quelques reprises, leitmotiv unissant l'enfance et l'âge adulte. Et quand Janine chante «Pour que je n'aie plus peur», debout à l'arrière de la balançoire alors que l'enfant est sur son siège, la magie opère et les paroles prennent tout leur sens.

Alain Doom, ce metteur en scène, professeur pour la voix et comédien d'origine belge, qui nous avait offert le touchant spectacle solo «Un homme si simple» et qui a monté le très beau «Aliénor» d'Herménégilde Chiasson, a réalisé la mise en scène du spectacle de Janine Boudreau. Ou, plus modestement, il est intervenu dans la mise en espace du spectacle, sans moyens et sans nécessairement tout le temps nécessaire. Sans doute à cause de ces moyens limités, le spectacle n'arrive pas à s'unifier en un tout. D'un côté, la nouvelle Janine a resserré ses anciennes chansons, creusant l'écart avec le disque, et traverse sur un rythme d'enfer quelques-unes de ses nouvelles. De l'autre, l'ancienne Janine réapparaît à l'occasion, sautillant un peu trop, souriant par plaisir d'être là, peu importe le sens de la chanson, se perdant dans cette voix extraordinaire qui peut enterrer tout ce qui l'entoure: musiciens, diction, mélodie et émotion. Entre les deux, une troisième Janine nous présente de curieuses chansons qui nous entraînent dans d'autres lieux fort éloignés du coeur de son répertoire. Une Janine turlutant, yodelant et chantant en chinois dans une tentative qui demeure brumeuse, ou encore une Janine chantant avec fougue et passion «La foule» d'Édith Piaf, mais dans le style très chanson française (même sa diction se colore différemment) qui ne semble pas tout à fait en lien avec sa volonté de «rocker» davantage.

Dans cette alternance de chansons anciennes et nouvelles et, surtout, dans cette volonté d'approcher différents styles, elle semble incertaine de la direction qu'elle veut prendre. Il est vrai que son talent est si vaste que les choix doivent être difficiles. Sa voix grave «bluesée», son registre plus aigu appelant la ballade, sa présence soulignant son potentiel de comédienne...

Parmi les nouvelles chansons, certaines se démarquent: la douce «Marie s'est mariée avec la mer» (les titres sont aléatoires: il faut les déduire de l'écoute), les rockeuses «Y'a toujours quelqu'un», «Comme une femme étrange», «Je hurle ta vie» (ma préférée), et l'émouvante «Élise» sur un texte d'Alain Doom.

Derrière elle et avec elle, les quatre musiciens, Denis Haché (batterie), Robert LeBlanc (basse), Louis H. Cyr (guitare, voix) et Claude Guy Gallant (guitare, clavier, voix) offrent une solide quoiqu'un peu neutre prestation: si le show doit aller dans le sens du rock, la chanteuse doit s'intégrer au groupe alors qu'une bonne partie du spectacle tendait à transformer le «groupe» en un simple orchestre d'accompagnement. Là encore, le concept scénique est à développer. En deux ans, Janine Boudreau a bien changé. Sa voix est toujours un diamant et, tout doucement, elle la sculpte, apprenant à en connaître toutes les facettes. Curieusement, on dirait que plus le talent est grand, plus l'apprentissage est complexe. Et dans le cas de Janine Boudreau, le talent est exceptionnel: les spectateurs de Moncton lui ont d'ailleurs réservé une belle ovation.

La tournée de Janine se termine cette semaine alors qu'elle visite Tracadie-Sheila (le 26), Shippagan (le 27), St-Quentin (le 28) et Grand-Sault (le 29).

(Paru dans L'Acadie Nouvelle, 25 mars 1998)

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