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Chroniques musicales acadiennes
En 1932 sort un disque interprété par un groupe encore inconnu, Le Trio Lyrique, composé du baryton et leader du groupe, Lionel Daunais, du ténor et futur «crooner» Ludovic Huot (qui sera remplacé en 1940 par Jules Jacob), et de la contralto acadienne Anna Malenfant. Au piano, le quatrième membre de ce trio, Allan McIver qui signe également les arrangements.
Depuis longtemps ce disque et tous les autres du Trio Lyrique et de ses membres étaient inaccessibles. Seuls quelques privilégiés avaient accès au Centre d'archives sonores de Radio-Canada à Montréal, où l'on préserve précieusement les enregistrements du temps passé. Peut-être écoutez-vous à l'occasion l'émission «Les refrains d'abord» animée par Monique Giroux. Si tel est le cas, vous savez que cette émission a stimulé la demande pour les oeuvres «cachées» de notre répertoire musical, et qu'une compagnie, Fonovox, publie régulièrement des disques compacts sur lesquels on retrouve de ces chansons disparues.
L'une des plus récentes réalisations de cette compagnie est un coffret de 5 disques intitulé «Lionel Daunais, l'hommage de ses interprètes». Les volumes un et deux regroupent des chansons du Trio Lyrique, les volumes trois et quatre nous présentent des enregistrements de Daunais et le cinquième nous fait entendre Anna Malenfant chantant des oeuvres de Daunais. Les enregistrements vont de 1926 à 1971, alors que le Trio Lyrique se reformait pour une dernière fois à l'occasion d'un hommage à Daunais. L'ensemble n'est pas une intégrale, mais une sélection parmi les enregistrements préservés. En tout, les cinq disques réunissent 79 chansons.
Lionel Daunais est un des premiers auteurs-compositeurs canadiens-français d'importance et le Trio Lyrique a eu un impact important sur le développement d'une chanson originale, qui se démarquait aussi bien de la française que de l'américaine. Les voix du trio sont dans la lignée des chanteurs d'opérette, les thèmes sont plus ruraux qu'urbains, et les airs puisent généreusement dans les racines folkloriques. Le Canada français des années 1930 cherche à affirmer son identité et la classe moyenne désire une chanson qui reflète ses espérances. Tandis que La Bolduc connaît ses derniers succès sur disques en 1932 avec ses chansons urbaines, qui s'adressent à la clientèle ouvrière et qui commentent la crise économique qui sévit, le Trio Lyrique débute sa carrière en interprétant deux chansons françaises: l'une comique, «Les souris se sont vengées» avec miaulements à la clé, et l'autre plus dramatique, «Le tango des roses». Les chansons de Daunais s'inscrivent dans l'esprit de La Bonne Chanson qu'encouragera l'Abbé Gadbois durant les années 1940.
Le repiquage est bien fait et le fascicule qui accompagne les disques précise les dates d'enregistrement, reproduit quelques photos et présente le Trio Lyrique, Lionel Daunais et Anna Malenfant. Si Anna Malenfant chante Daunais, Daunais chante deux chansons de Malenfant, «Légende canadienne» et «L'Oncle Bastien» et le Trio Lyrique en chante une, «La danse du pays d'en haut». «Légende canadienne» est le titre choisi pour le marché français de «Légende acadienne» qui raconte, comme on s'y attend, l'histoire d'Évangéline et de Gabriel.
C'est toute une époque qui renaît à l'écoute de ces disques. Au sein du Trio Lyrique, la voix grave de Malenfant demeure un support à celle des deux hommes, surtout à celle de Daunais qui assume la plupart du temps la voix principale. Mais dans le disque consacré à Anna Malenfant, on a l'occasion de découvrir ses multiples possibilités tant au niveau dramatique, comme dans sa très belle version de «Rossignol rossignolet», qu'au niveau comique comme dans sa version d'«Aglaé», que le Trio Lyrique avait créée en 1948 et que la Canadienne Josette France fera connaître en France en 1950, elle qui adoptera comme nom de scène le titre de cette chanson. On retrouve d'ailleurs la version de Josette France sur une autre des réalisations de Fonovox, Radio-Canada: «Nos refrains d'abord, 1917 à 1967», un coffret de deux disques parus en 1996. La différence dans l'interprétation des deux chanteuses: paysanne et caricaturale pour France, folkorisante et mesurée pour Malenfant et le Trio Lyrique, indique clairement les clientèles que l'on cherche à rejoindre.
Évidemment, ce coffret, dont le coût avoisine les 50 $, s'adresse plus particulièrement aux passionnés de la chanson et aux personnes qui ont vécu cette époque. Pour tous ceux-là, mais aussi pour tous ceux qui veulent découvrir les racines de la chanson populaire, le plaisir est garanti.
«Lionel Daunais, l'hommage de ses interprètes», Disques Fonovox, Distribution Fusion III, rue Paré, suite #101, Montréal, PQ, H4P 1P7
(Paru dans «L'Acadie nouvelle», le 23 janvier 1998)